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Les littérateurs, comme Bashô, suivi de ses disciples, les artistes, comme Hokusai, Hiroshigé, etc., parcouraient sans cesse le pays, en toute saison, en tout sens, observant, notant, enrichissant leur mémoire de lignes et de couleurs. On peut dire, à la lettre, qu’ils ont appris par cœur leurs paysages, les formes de leurs rochers et de leurs pins, les courbes de leurs rivages, les silhouettes de leur Fuji et des montagnes, — comme ils ont appris par cœur et apprennent encore les caractères chinois, les classiques chinois, les kakémonos chinois[1].

Leur mémoire regorge de formes, de couleurs, de citations patiemment amassées : chacun se sent capable d’écrire sa tanka ou son hokku, comme de faire sa petite esquisse. Sans doute, le médiocre abonde. Ils ont pris l’habitude scolaire de s’exercer à développer quelque maxime de Confucius ou d’un classique ; beaucoup n’en ont gardé que verbosité inlassable et manie de répétitions. Des milliers de dessins et de vers ne sont que des copies. Depuis le Mikado jusqu’au plus modeste paysan, en passant par le boutiquier de Tôkyô, il n’est pas un Japonais qui n’ait écrit ses trente et un vers ou ses dix-sept vers sur la lune, la neige, les fleurs. Pendant les loi-

  1. À comparer des estampes aux sites qu’elles représentent, on voit comment les japonais, dans le portrait de leur pays, atteignent la ressemblance en dehors de l’exactitude. Ils ont rendu de doubles effets de lumière qui, dans la réalité, ne peuvent être vus simultanément. Quand ils représentent la mer ou les montagnes, leur exécution si libre et si spirituelle ne peut être que de souvenir.