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torii aux cornes recourbées, parasols de fer des pagodes, dauphins des toits de châteaux forts, longues bandes d’étoffe séchant au haut des bambous, annonces de théâtres ou de lutteurs couvertes de grands caractères chinois, racines et troncs d’arbres évidés, ponts recourbés, — autant de silhouettes de premier plan, dessinant en valeurs sombres le cadre où s’inscrit la vision lointaine, le divin Fuji au-dessus des nuages qui l’assiègent.

Notre art classique a une tendance à supprimer les premiers plans d’un paysage, pour rapprocher de notre œil le motif central, massifs d’arbres, montagnes, nuages, etc. L’artiste, dans la réalité, aperçoit ce motif principal de très loin, parfois de très haut ; mais, sur la toile, il supprime les distances, néglige les intermédiaires et ne retient que le motif qui l’intéresse. Ainsi disparaissent les rapports accidentels qu’eut avec l’œil de l’artiste le paysage, déjà simplifié de lignes et transposé de valeurs par la distance, et qui revêt alors un caractère d’éternité. D’instinct, nos paysagistes, comme Poussin ou Puvis de Chavannes, ont vu une nature de bas-relief dont les motifs se développent processionnellement de droite à gauche. L’œil d’un Japonais, au contraire, au lieu d’aller droit au motif central et lointain, en supprimant toute transition, s’arrêtera tout de suite et toujours sur les premiers plans. Et toujours dans l’œuvre la place et la distance, d’où l’artiste a pu voir le motif, sont nettement indiquées par la forme, ou plutôt les déforma-