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et usés des kakémonos très vieux, — et de belles lignes, de belles visions éphémères.

Il leur faut un fond pour adosser le paysage ; il leur faut des premiers plans très proches pour l’accoter. Leurs visions de nature sont toujours encadrées. Elles sont fugaces, mais les contours du cadre sont arrêtés. C’est le monde vu par une lucarne qu’on ouvrirait un instant : tout juste le temps d’esquisser, en trois lignes d’une épigramme, en trois traits d’un dessin, le petit incident comique, ou la brève impression de nature qui s’y inscrit. Presque toujours, cet art elliptique, tout en suggestions, adore la brièveté qui laisse à deviner, à rêvasser, à gloser. Mais d’abord le Japonais veut, au premier plan, quelque chose de limité, de fini qui le rassure. Alors seulement, il se plaît à prolonger son émotion.

Avec les fleurs et la neige, la lune est pour les Japonais la plus adorable des choses naturelles, solitaire, incomparable. Ils passent la nuit à la contempler, à composer des vers en son honneur. Ce qu’ils aiment, ce qu’ils notent, ce n’est pas la lumière inondant l’espace libre, infini ; mais, assemblés dans les auberges au bord du golfe de Tôkyô, ils guettent le moment précis où le disque émerge de l’horizon au-dessus de l’eau sombre, ou bien, réunis dans les