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les incendies étaient et sont encore si fréquents, ils sont amateurs de feu. Ils appelaient « fleurs de Yedo » les flammes qui, si souvent, embrasaient le ciel de leur capitale. Leurs pompiers vont au feu avec allégresse ; ils ne peuvent s’empêcher d’admirer le brasier qu’ils sont chargés d’éteindre : quel beau feu ! comme il fait bien !

Un feu d’artifice ravit la foule. Je me souviens de la fête de « l’ouverture de la rivière » à Tôkyô. Une soirée d’août, la moitié de la ville sur la rivière Sumida. Toutes les cha-ya des bords de l’eau pleines de joyeuses bandes. On ne voyait plus la rivière, on ne voyait que des barques, alourdies de leurs grosses lanternes de couleur. Des silhouettes sombres d’hommes se penchaient sur des gaffes ; les barques, bord à bord, glissaient les unes contre les autres en gémissant. Cette ville flottante tremblotait. Sous les lanternes, on chantait : les voix aiguës des geishas, leurs rires précieux, les nasillements des shamisen tremblotaient aussi. Au-dessus du fleuve, qui roulait ces clartés, le ciel d’été noir, profond ; des arbres, des masses sombres. En l’air, des fusées filaient et, comme des tiges, se ployaient pour retomber ; des roues de feu tournaient. Et c’étaient des cris de joie chaque fois que, d’un jet oblique, la longue spirale zébrait la nuit et s’épanouissait en pluie d’or. Cette foule retrouvait les émotions esthétiques qu’elle préfère : des couleurs rompues et raffinées, des ors, des roses, sur un fond de nuit qui se décolorait en bleu ou en gris, semblable aux fonds un peu passés