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rocs, parfois à peine plus gros que des cailloux, où personne n’habite, des pins sont piqués partout, comme ils veulent, comme ils peuvent, escaladant les croupes ou penchés la tête en bas vers l’eau, vraie troupe de gamins qu’on aurait juste arrêtés et fixés dans le beau désordre d’un assaut. L’arbre convient à ces rocailles ; les troncs et les branches se tordent en gestes d’expression forcée, — des gestes d’acteurs japonais ; et les paquets d’aiguilles noires appliquent leurs découpures épaisses sur le transparent vert clair du ciel.

À tourner entre ces rocs de tuf volcanique que l’eau sans cesse ronge — les uns aiguisés en crocs, les autres évidés en arches, ou amincis en éperons, — on se croit sur le lac d’un jardin bien clos, et l’on oublie le golfe grand ouvert sur le Pacifique.

Nous abordons et montons, assez haut dans les bois, vers un petit temple bouddhique où nous accueille un bonze. Assis sur ses jambes repliées, la nuque ployée, les épaules arrondies, dans la solitude, il semble regarder inlassablement ce paysage divin et le pullulement des îles vertes sur la mer ; il a le sourire d’un bouddha contemplant les passions qui émergent, vivaces, du Néant…

En prenant son thé vert, nous admirons l’immense estampe, tirée en tons si doux. Le ciel gris et la mer grise tendent à se fondre, mais sous l’horizon l’artiste a posé d’un seul coup, en rehaut, une longue touche bien lisse de bleu sombre. Sur l’eau de couleur neutre, en valeurs claires, sinuent des lignes