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nais et du Mikado, c’est un sentiment sacré qu’il garde au profond de soi. C’est une passion intense, très prompte à douter des éloges, âpre à les souhaiter et qui se dissimule, s’effarouche, honteuse à s’avouer. Froissez-la au vif, comme à San Francisco, et sous les habits et manières d’emprunt, elle éclate : la douceur souriante s’est muée en arrogance brutale.

Au vrai, si le désir du Japonais de s’américaniser ne paraît aux Californiens que faux semblant, c’est qu’ils croient sentir que le Japonais ne se livre pas entièrement à l’emprise de la terre et de la civilisation américaines, qu’il se réserve et que de l’Amérique il ne veut pas tout prendre, en bloc. Il enquête, juge, distingue, ne s’abandonne jamais et jamais ne perd ni sa tête ni son cœur de Japonais. Or la nation américaine a été une œuvre d’enthousiasme et de foi. Les Européens qui l’ont faite, chassés de chez eux pour des motifs politiques, par des souffrances sociales ou par le désir d’une vie plus libre et plus large, ont en débarquant secoué la terre de leurs souliers et rompu avec leur patrie d’origine. Pourtant ces émigrants ont souvent inquiété l’opinion américaine, toujours prête à rejeter les éléments qui, lui semble-t-il, ne peuvent ou ne veulent s’assimiler et l’hostilité contre les Jaunes n’est qu’une variété de l’hostilité générale que les gens américanisés depuis une ou deux générations ont toujours témoignée, par tout le pays, aux immigrants frais émoulus. Anglo-Saxons, à ce qu’ils croient, sitôt qu’un brevet de naturalisation les a authentiqués et qu’ils ont à peu près réussi à attraper, avec l’accent yankee, le chic du veston trop large et des souliers