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des salaires correspondants qui leur permettent de se loger, de se vêtir, de manger comme tout le monde, et à entrer dans des syndicats. Mais le Japonais, comme le Chinois, campagnard ou coolie peu gâté en son pays, inspire à l’ouvrier américain la crainte d’une humanité plus dure, plus âpre, plus ascétique. Ils se rassasient avec des aliments et des rations qui affameraient les plus gueux et les moins exigeants des Américains. Souvent ils sont plusieurs à dormir et à travailler, recroquevillés dans une chambre où un Américain manquerait d’air pour vivre et d’espace pour s’étaler.

Comme leurs besoins sont très limités, ils n’ont pas avec les ouvriers occidentaux une conscience commune de classe. Et malgré qu’ils prennent goût rapidement à la civilisation industrielle, longtemps encore ils resteront en deçà de la moyenne des besoins d’un syndiqué. Là est l’essentiel du désaccord : il y a plus que la méfiance de syndiqué à non-syndiqué, car les syndicats de l’Est ne tardent pas, sous le climat sec et froid et dans les villes où tout excite leur envie, à absorber les plus frustes des émigrants d’Europe, Italiens du Sud, Arméniens, Slaves ou Juifs. D’ouvrier américain à ouvrier japonais, il y a encore la défiance d’un syndiqué avec sa philosophie très cohérente du syndicalisme, et du genre de vie qu’elle prêche et défend, contre un homme qui ne viendra pas d’ici longtemps, sinon au syndicat, au moins à tous les besoins, à toutes les exigences matérielles et sentimentales d’un syndiqué d’Occident[1].

  1. Pour enrayer la concurrence des Chinois, l’Australie a essayé de leur imposer une rigoureuse surveillance dans les établisse--