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AU NOM DE LA RÉPUBLIQUE FRANÇAISE.


PROCLAMATION

Nous, Étienne POLVEREL et Léger-Félicité SONTHONAX, Commissaires civils de la République, délégués aux Îles françaises de l’Amérique sous le vent, pour y rétablir l’ordre et la tranquillité publique.

L’esprit de famille est le premier lien des sociétés politiques ; l’homme libre qui n’a ni femme ni enfans, ne peut être qu’un sauvage ou un brigand ; l’homme vraiment digne de la liberté, et qui en sent le prix, ne peut pas souffrir que sa compagne et ses enfans végétent dans l’esclavage.

Nous sommes pénétrés de ces grands principes ; mais il en est de plus incontestables encore, c’est que tout peuple régénéré qui a conquis sa liberté, et qui veut la conserver, doit commencer par épurer ses mœurs ; c’est que la piété filiale, la tendresse conjugale, l’amour paternel, l’esprit de famille en un mot, n’existe point dans les conjonctions fortuites et momentanées que le libertinage forme, et que le dégoût et l’inconstance dissolvent.

Nous avons fait des libres, nous en ferons encore ; mais nous Voulons faire d’eux tous des citoyens, qui, par l’habitude des affections de famille, s’accoutument à chérir et à défendre la grande famille qui est composée de l’ensemble de tous les citoyens.

On a remarqué, même parmi les hommes non libres, que ceux qui étaient époux et pères, étaient les plus fidèles, les plus affectionnés à leurs maîtres, les plus laborieux, les plus incorruptibles. Si le mariage a produit ces effets salutaires sur eux, que n’opérera-t-il pas sur ces mêmes hommes devenus libres ? Ils n’ont plus d’autres maîtres que la patrie ; leur amour pour elle deviendra d’autant plus énergique, qu’ils auront plus de tendresse pour leurs femmes et pour leurs enfants.

En conséquence, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit, pour être exécuté seulement dans la province du Nord.

Article Premier. Tout homme actuellement libre, quelque soit l’époque de sa liberté, qui voudra épouser une femme esclave, soit qu’il ait eu des enfans d’elle, ou qu’il n’en ait pas eu, se présentera avec ladite femme et les enfans qu’il en aura eus, devant la municipalité du lieu de sa résidence, dans le délai de quinze jours, à compter du jour de la publication de la présente proclamation ; et à défaut de municipalité, devant le bureau municipal qui en fera les fonctions.

Art. II. Ledit homme libre et ladite femme esclave, déclareront devant ladite municipalité ou le bureau municipal, qu’ils veulent se prendre pour mari et femme, et qu’ils veulent légitimer par le mariage, tels et tels enfants qui sont procréés d’eux.

Art. III. La municipalité ou le bureau municipal tiendra registre de ladite déclaration, et la fera publier par un de ses officiers, au-devant de la porte principale de la maison commune de la ville ou du lieu principal de la paroisse, et afficher à ladite porte de la maison commune.

Art. IV. Il ne pourra être procédé à la célébration du mariage qu’après la huitaine écoulée, à compter du jour de la publication et affiche énoncées en l’article précédent.

Art. V. Pendant cet intervalle, toutes oppositions audit mariage pourront être faites au greffe de la municipalité ou du bureau municipal.

Art. VI. Aucune opposition ne pourra être valablement motivée, que pour l’une des trois causes suivantes.

1er Si les deux prétendus époux sont père ou mère, ayeul ou ayeule, ou en autre degré ascendant, ou frère ou sœur de l’un de l’autre.
2e Si l’un d’eux ou chacun d’eux est déjà lié par mariage avec une autre personne vivante.
3e Si celui des deux qui est libre, est mineur, sous la puissance de père et de mère, d’ayeul ou d’ayeule, de tuteur ou de curateur, et qu’il contracte mariage sans son consentement

Art. VII. Après la huitaine écoulée, lesdits époux se présenteront devant ladite municipalité ou bureau municipal, là ils déclareront qu’ils se prennent pour mari et femme, et qu’ils légitiment par le mariage, tels et tels leurs enfans, procréés d’eux. S’il n’est survenu aucune opposition valable, la municipalité ou le bureau municipal leur en donnera acte et en tiendra registre.

Art. VIII. La femme esclave ainsi mariée, et les enfans esclaves ainsi légitimés seront libres et réputés tels, et jouiront de tous les droits des citoyens, sans qu’il soit besoin d’autre titre de liberté, que l’acte de déclaration de mariage et de légitimation énoncé en l’article précédent.

Art. IX. Ledit acte de légitimation ne pourra profiter qu’aux enfans procréés des deux époux, quand même ils seroient procréés de l’un ou de l’autre.

Art. X. Les enfans nés d’un mariage déjà contracté entre un homme libre et une femme esclave, avant la publication de la présente proclamation, seront libres en vertu de ladite proclamation, sans qu’ils ayent besoin d’aucune déclaration, ni d’aucun acte particulier.

Art. XI. Les maîtres des esclaves ainsi affranchis, seront indemnisés par la république, de la valeur desdits esclaves, en lettres de change sur le trésor public.

Art. XII. La valeur desdits esclaves demeure fixée ; savoir, celle des hommes au-dessus de 18 ans, à la somme de 2,000 liv.

Celle des femmes au-dessus de 16 ans, à la somme de 1,650 liv.
Celle des enfans des deux sexes au-dessous de 4 ans, à la somme de 200 liv.
Celle des enfans au-dessus de 4 ans et au-dessous de 10, à la somme de 400 liv.
Depuis 10 ans jusqu’à 14 ans, à la somme de 600 livres.
Depuis 14 ans jusqu’à 16, à la somme de 1,000 livres.
Et les hommes au-dessus de 16 ans et au-dessous de 18, à la somme de 1,500 livres

Art. XIII. Tous ceux qui, passé le délai de quinzaine, voudront affranchir et légitimer par le mariage leur femme et leurs enfans, en remplissant les formes ci-dessus prescrites, seront admis à le faire, en payant aux maîtres l’indemnité fixée par l’article XII, laquelle ne sera pas à la charge de la république.

Art. XIV. Toute femme libre qui voudra épouser un esclave et le rendre libre par le mariage, pourra le faire ; mais elle sera tenue d’en payer l’indemnité au maître sur le pied de l’évaluation faite par l’article XII.

Art. XV. L’exécution de la présente proclamation sera suspendue dans les provinces de l’Ouest et du Sud, jusqu’à ce qu’un arrêté des deux commissaires civils qui sont actuellement dans le Nord, ait autorisé le commissaire-civil qui est dans le Sud, et celui qui va incessamment se transporter dans l’Ouest, à en faire l’application dans ces deux dernières provinces.

Sera la présente proclamation, imprimée, publiée et affichée par-tout où besoin sera, enregistrée à la commission intermédiaire, dans toutes les municipalités, aux deux conseils supérieurs, et dans tous les tribunaux de la Colonie.

Requérons le gouverneur général, par intérim, des Îles sous le vent, et l’ordonnateur civil, de tenir la main à l’exécution de la présente proclamation, chacun en ce qui le concerne.

Fait au Cap, le 11 juillet 1793, l’an 2 de la république française.

POLVEREL, SONTHONAX.

Par les Commissaires civils de la République, Picquenard, secrétaire adjoint de la Commission civile.


Au Cap-Francais, de l’imprimerie de P. Roux et Compagnie, rue Notre-Dame.