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LA CHASSE AUX LIONS

cinq fois plus haut, elles vous tombent sur la tête, sur les épaules, elles vous enlèvent d’un coup de dent une livre ou deux de chair fraîche. C’est tout à fait insensé.

Par bonheur, quoique les lions ne fussent qu’à trois cents pas de nous en ligne droite et à vol d’oiseau, ils étaient forcés de faire un détour d’une demi-lieue pour nous rejoindre, et voici pourquoi.

La vallée, comme je vous l’ai dit, était profonde ; mieux que profonde : on aurait cru voir un corridor entre deux murs de rochers de cinq cents pieds de haut. Pour passer d’un côté, ou, si vous voulez, d’un mur à l’autre de la vallée, il fallait remonter beaucoup plus haut. Pendant ce temps nous avions le moyen de réfléchir, Pitou et moi.

Je lui dis :

« Tu entends les lions ?

— Oui.

— Veux-tu les attendre ?

— Ça dépend.

— Si nous les attendons, ils seront là dans cinq minutes.

— Qu’est-ce que tu veux que j’y fasse ? répliqua Pitou. Le vin est tiré, il faut le boire. »

Il appelait ça du vin, le bon enfant ! Moi, que ce fût du vin ou du vinaigre, j’en avais assez, avant même d’en avoir goûté. D’autant mieux que je voyais le vieux lion, le plus gros de tous, le chef de la tribu, prendre son parti, faire signe aux autres de le suivre et partir en avant au grand trot, comme un colonel en tête de sa troupe.

Et quels pas il faisait ! Des pas de six pieds au moins.

Cette fois, nous étions perdus. Je pensais en moi-même : « Mon ami, tu ne reverras jamais papa Dumanet. Ah ! s’il savait que dans dix minutes nous allons avoir cinq lions sur le dos et une lionne dans les jambes, qu’est-ce qu’il dirait, Seigneur Dieu de la terre et des étoiles !… Mille millions de tonnerres et d’éclairs ! il faut sortir de là et retourner à Dardenac pour embrasser le vieux ! »

Voilà comment je réflexionnais en dedans. Pitou, lui, ne réflexionnait