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LA CHASSE AUX LIONS

le rugissement du lion. Alors les deux bourricots ne dirent plus rien : muets comme des carpes au fond de l’eau. Je vis revenir Ibrahim, qui, sans avertir, était allé à la découverte et qui dégrafait son burnous pour courir plus vite. Il arriva en criant :

« Les voilà ! les voilà !

— Qui ? » demanda Pitou.

Mais l’Arabe, essoufflé et plus pressé de se mettre en sûreté que de répondre, nous fit signe de la main qu’on le suivait et se hâta de grimper d’abord dans les plus hautes branches du chêne. De là il nous cria :

« C’est mon pauvre Ali, le lion, la lionne et les petits ! »

En effet, c’était bien eux. Ils étaient à cent pas de nous, au détour du chemin : le lion en avant qui courait au grand trot ; Ali, le bourricot, derrière lui, qui portait les deux lionceaux dans deux paniers placés des deux côtés du bât, et la lionne en arrière-garde, qui veillait sur ses petits et qui empêchait Ali de se sauver à droite ou à gauche. Elle en avait fait son domestique, la vieille coquine ; et elle le menait au marché, comme une bonne fermière, pour faire ses provisions.

Alors Ibrahim (car c’était lui qui avait poussé le premier « hi han ! » pour appeler son âne) recommença à braire d’un ton lamentable, comme s’il avait voulu dire : « Pauvre ami, tu es bien avant dans la peine et moi aussi, mais prends patience ; voici deux Roumis que j’ai amenés pour tuer ton persécuteur. »

Le bourricot se mit à braire à son tour pour répondre : « Je les connais bien, c’est Pitou et Dumanet, deux bons garçons ; mais s’ils ne le tuent pas…, c’est moi qui serai mangé vivant. Ô quel triste avenir ! »

Moi, je dis à Pitou :

« Cette fois, c’est certain, voilà le gibier. Qui est-ce qui va tirer le premier ? »

Lui me rétorqua :

« Tire quand tu voudras, moi, je ne tire qu’à six pas : quand on n’a pas le temps de recharger, il ne faut pas manquer son coup. »