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LA CHASSE AUX LIONS

Alors Ibrahim leva les mains au ciel et dit :

« Vous voyez bien : il a passé par là !

— Qui ? demanda Pitou.

— Ali, mon pauvre Ali !

— Ali ou un autre, reprit Pitou, qui avait espéré trouver la trace du lion et qui ne voyait que du crottin d’âne. Il y a plus d’un âne à la foire qui s’appelle Martin : il y a plus d’un âne aussi qui s’arrête sur le chemin en revenant de la foire et qui laisse sa carte de visite aux voyageurs.

— Oh ! dit Ibrahim, je ne m’y trompe pas, moi. Ali est un friand qui ne mange que des chardons : il n’a jamais voulu goûter l’herbe des champs ni l’orge… Tenez, voyez plutôt… »

Pitou l’interrompit :

« Comment ça ? nous voyons bien Ali, puisque tu dis qu’il n’y en a pas d’autre dans la nature pour s’arrêter comme lui sur le grand chemin ; mais l’autre, le lion, où est-il ? »

Alors le pauvre Ibrahim, qui riait tant en reconnaissant le crottin de son âne que sa figure s’en élargissait comme une pleine lune, devint tout à coup sombre comme un jour d’orage et s’écria :

« Le gueux ! le voilà ! Le brigand ! le voilà ! Tenez, voyez-vous ses pattes, dont la plus petite est large comme le fond d’une assiette ? Voyez-vous comme elles sont écartées ? celles de derrière surtout ?

— C’est vrai, dit Pitou : on croirait voir un seigneur à la promenade, après dîner, écartant les jambes et marchant le ventre en avant pour digérer mieux. »

Je pensai (entre moi) que c’était la pauvre Fatma, la femme d’Ibrahim, que le lion avait dû digérer, et je fis signe à Pitou de ne pas parler davantage, de peur de chagriner notre ami.

Pitou, qui est délicat de cœur mais non de structure (comme disait un Parisien, ouvrier sculpteur et notre camarade de chambrée), et qui ressemble plutôt à un bloc de pierre de taille qu’à celui que les bourgeois de Paris appellent un Apollon du Belvédère, je veux dire un joli