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LA CHASSE AUX LIONS

pas facilement quoiqu’il prenne toujours ses précautions, met l’oreille à terre et vous dit : « J’entends bien braire l’âne, mais j’entends quelqu’un derrière lui, » alors, oh ! alors… on a beau être le fusilier Dumanet de la 2e du 3e du fameux 7e de ligne, surnommé par son colonel le régiment de bronze, on est taquiné dans le fond des entrailles.

Pendant que je pensais à ça et que j’écoutais braire le bourricot, voilà que tout à coup la pauvre bête ne dit plus rien et continue à courir.

Alors j’entendis les pas lourds de celui qui trottait derrière. Il ne pleuvait plus. Le nuage qui couvrait la lune s’écarta, et Pitou, me serrant fortement le bras, me dit à voix basse en armant son fusil : « Tiens, Dumanet, tu as voulu le voir : le voilà ! »

C’était bien lui. Il descendait la côte, à trente pas, mais séparé de nous par un précipice de plus de six cents pieds coupé aussi droit qu’un I dans la montagne. Pour descendre au bas de la côte et remonter jusqu’à nous de l’autre côté, il avait plus d’un quart de lieue à faire, presque une demi-lieue.

Ça, c’était rassurant pour nous, mais pas pour le bourricot, qui ne braillait plus, oh ! non, mais qui galopait, galopait, galopait ! Je n’aurais jamais cru, foi de Dumanet, qu’un bourricot fût si galopeur que ça !

Quant à l’autre, celui qui courait derrière, il ne galopait pas, lui ! Il trottait seulement, à la façon des gros chevaux boulonnais qui traînent les camions hors des gares, et qui ressemblent à des locomotives à quatre pattes. Personne ne voudrait se mettre en travers, de peur d’être brisé d’un coup de poitrail. On entendait ses lourdes pattes tomber deux par deux sur les feuilles sèches. Au clair de lune, on le voyait faire des pas énormes, de six pieds chacun pour le moins.

Je me retournai pendant une seconde et je demandai :

« Ibrahim, est-ce bien ton lion ? »

Mais l’Arabe ne répondit pas. Il grimpait dans le chêne, le bon moricaud, et il allait être aux premières loges pour voir comment nous nous tirerions d’affaire, Pitou et moi.