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LA CHASSE AUX LIONS


« Ibrahim ! Et ton bourricot ? est-ce que tu vas le laisser là dans la forêt ? »

Alors il se roula par terre, arracha son turban, couvrit sa tête de boue et s’écria :

« Ali ! Ali ! mon pauvre Ali ! je ne te reverrai plus ! Ali de mes yeux ! Ali de mon cœur ! Ali miséricordieux ! Ali, fils des étoiles ! pauvre Ali qui chantais le matin comme le rossignol chante le soir, et dont la voix retentissait dans les montagnes comme celle du muezzin sur le haut de la mosquée quand il invite les fidèles à la prière ! »

Tout à coup, il s’interrompit. Nous entendîmes braire au loin. On aurait dit un appel du pauvre âne à son maître. Ibrahim cria :

« Le voilà ! le voilà ! Je l’entends galoper de ce côté. Venez avec moi ! »

J’allais courir avec lui, mais Pitou me retint par la manche.

« Attends un peu, dit-il. Je suis sûr que le bourricot n’est pas seul… »

Il posa l’oreille à terre, se releva doucement, fit signe à l’Arabe, qui s’était arrêté pour le regarder, et nous dit à tous deux dans l’oreille :

« Il y a quelqu’un derrière le bourricot ! »

Je répondis :

« Ah ! Il y a quelqu’un ?… »

Et je m’arrêtai net comme si j’avais vu un mur de trois cents pieds de hauteur sur quarante kilomètres de largeur.

Vous savez… quand on se promène à une demi-lieue de Clermont, qui est une jolie ville (on voit le Puy de Dôme d’en bas), quand il fait nuit et qu’on entend braire et galoper un âne, vous dites : « Voilà qui est bon, l’âne a cassé sa corde et s’est sauvé, et le propriétaire court après… il n’en est que ça… » Vous attendez l’âne au passage pour le ramener au propriétaire, si vous êtes bon enfant, ou pour rire de bon cœur en les entendant galoper l’un derrière l’autre… Ça va bien, vous pouvez rire pendant un heureux quart sans vous faire de mal… Mais si vous êtes en Afrique, dans la forêt, à cinquante lieues d’Alger, si vous savez qu’à l’endroit où vous allumez votre cigarette le lion a passé il n’y a pas une heure, si l’Arabe vous dit qu’il a mangé sa femme, si l’ami Pitou, qui ne s’effraye