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LA CHASSE AUX LIONS

la fin de ton histoire ? Eh bien, voilà, tu n’as fait ni une ni deux, et comme j’allais tomber en dehors sur la place et m’écraser comme un fromage mou, tu m’as poussé si fort en dedans contre la muraille, que je me suis cogné le nez, qui en a saigné pendant cinq minutes, et que ma tunique s’est déchirée au coude, ce qui m’a fait donner quatre jours de salle de police en rentrant… moyennant quoi tu as sauvé la vie d’un chrétien et d’un ami, mon vieux Pitou. Eh bien ! est-ce que tu en as des regrets ? »

Pitou répondit :

« Je ne regrette rien, Dumanet : tu es un mauvais cœur de me dire que je regrette d’avoir fait saigner le nez d’un ami et déchiré sa tunique… Ce n’est pas moi qui t’aurais jamais dit ça, Dumanet !… D’ailleurs, ce n’est pas pour toi que j’ai fait ça…

— Et pour qui donc, Pitou ? »

Il se gratta la tête d’un air embarrassé.

« Pour moi, Dumanet ! pour le fils de la mère Pitou ! Est-ce que tu crois que ça aurait été une chose à dire en rentrant à la caserne : « J’ai perdu Dumanet. — Qu’est-ce que tu en as fait ? — Je l’ai laissé tomber du haut du Panthéon sur la place. — Tu ne pouvais donc pas le retenir ? Tu es donc une moule ?… » — Tu comprends, ça m’aurait embêté. Toute ma vie, j’aurais pensé : C’est vrai, je suis une moule, et Dumanet, qui est là-haut en purgatoire, où certainement il doit s’ennuyer sans moi, doit se dire : « C’est la faute de Pitou : si Pitou n’était pas une moule, je ne serais pas là tout seul à tourner mes pouces en l’attendant ! » Tu comprends, Dumanet, savoir qu’un ami va tourner ses pouces vingt-quatre heures par jour en vous attendant pendant trente ans et peut-être davantage, ce n’est pas régalant, pas vrai ? »

Je dis encore :

« Mon vieux Pitou (je l’appelais vieux, quoiqu’il eût vingt-cinq ans comme moi), mon vieux Pitou, tu es une vieille bête ! »

Il répondit tranquillement :

« Je le sais bien, Dumanet.