Page:Assollant - La Chasse aux lions.djvu/28

Cette page a été validée par deux contributeurs.
22
LA CHASSE AUX LIONS

— Six cent cinquante pieds, Pitou ?

— Ou trois cent cinquante ; est-ce que je sais, moi ? Enfin on mettrait cent cinquante Pitou bout à bout, chacun le pied droit sur la tête d’un autre Pitou et les bras étendus comme le génie de la Bastille, avant que le dernier Pitou pût poser sa main sur la balustrade : ça suffit, n’est-ce pas ?… Enfin, tu dis qu’il fallait monter, que les autres n’y montaient pas ; que le sergent Merluchon du 6e léger n’avait jamais osé, qu’il fallait oser ce que n’osait pas Merluchon ; qu’il fallait montrer au 6e léger ce que le 7e de ligne savait faire… est-ce que je sais, moi ? Quand il s’agit de faire une bêtise, tu parles comme un livre. Alors moi, qui suis bon enfant, je voulus faire comme toi et pas comme le sergent Merluchon ; nous montâmes tous deux sur la balustrade et nous commençâmes la tournée… Jolie tournée, ma foi ! Mon Dumanet, dès le premier pas, faisait le seigneur et l’homme d’importance ; on aurait dit un colonel de carabiniers ; il chantait de toutes ses forces la jolie chanson :

Y avait un conscrit de Corbeil
Qui n’eut jamais son pareil.

« Moi, pendant ce temps, je regardais la place du Panthéon, où les hommes me faisaient l’effet d’être gros comme des rats et les chevaux comme des chats, et je pensais entre moi : « Tonnerre de mille bombardes ! que c’est haut ! » Les trois cent cinquante pieds que tu dis me faisaient l’effet d’avoir soixante pouces de hauteur. Tout à coup, je vois mon Dumanet, qui chantait toujours en regardant de quel côté la lune se lèverait le soir, et qui va poser son pied dans le vide… Ah ! tiens, Dumanet, ça me fait frémir quand j’y pense !… »

Je répliquai :

« Oh ! toi, Pitou, quand tu frémis, ça ne compte pas ; tu es par nature aussi frémissant qu’une langouste… et même j’ai connu des langoustes qui ne te valaient pas pour la frémissure… Et puis, veux-tu que je te dise