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LA CHASSE AUX LIONS

— Alors tu étais comme l’autre dans la chanson de Malbrouck ?

— Malbrouck ?… connais pas… Un Roumi peut-être ?

— Oui, un seigneur Roumi que ses amis enterrèrent dans le temps. L’un portait son grand casque, l’autre portait son grand sabre, l’autre portait sa cuirasse et l’autre ne portait rien… Va, va toujours… Alors tu suivais Fatma et le bourricot ?

— Je ne les suivais pas, dit l’Arabe ; je les faisais marcher devant moi.

— Ça, dit Pitou, c’est bien différent… Alors le lion est venu, et il a emporté ta femme et ton bourricot ?

— Oh ! ma femme seulement, parce que le bourricot a jeté sa charge de bois et s’est sauvé dans la forêt ; mais le brigand saura bien l’y retrouver demain. Pauvre bourricot ! pauvre bon bourricot ! je l’aimais tant !… Je l’avais appelé Ali, du nom du gendre du Prophète !… Ali, mon pauvre Ali, je l’avais acheté cinq douros, et il m’en rapportait deux par semaine ! »

L’Arabe pleurait et criait.

Alors je demandai :

« Mais toi, qu’est-ce que tu as dit, quand tu as vu qu’il emportait ta femme ?

— Moi !… ce que j’ai dit ?… Je suis monté sur le chêne et je lui ai crié à travers les branches : « Coquin ! scélérat ! assassin ! » Et pendant que j’entendais craquer sous ses dents les os de ma pauvre Fatma, j’ai prié Allah d’accorder à son fidèle serviteur que le brigand fût étranglé par un de ces os bien-aimés… Qu’est-ce que je pouvais lui faire avec mon bâton ?

— Ça, dit Pitou, c’est vrai. On fait ce qu’on peut, on ne fait pas ce qu’on veut… Allons, Dumanet, allons-nous-en. »

Mais moi, je n’étais pas pressé. Pendant que l’Arabe parlait, j’avais senti, comme dit l’autre, pousser une idée sous mon képi… Les idées, vous savez, ça ne pousse pas tous les jours ; c’est comme le blé, il y a des saisons pour ça. Mais quand elles sont mûres, il faut les cueillir tout de suite. Au bout d’un mois, elles ne valent plus rien.

Je dis donc à l’Arabe :