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le livre


La Coupe




Dans les verres épais du cabaret brutal
Le vin bleu coule à flots & ſans trêve à la ronde ;
Dans les calices fins plus rarement abonde
Un vin dont la clarté ſoit digne du criſtal.

Enfin la coupe d’or du haut d’un piédeſtal
Attend, vide toujours, bien que large & profonde,
Un cru dont la nobleſſe à la ſienne réponde :
On tremble d’en fouiller l’ouvrage & le métal.

Plus le vaſe eſt groſſier de forme & de matière,
Mieux il trouve à combler ſa contenance entière ;
Aux plus beaux ſeulement il n’eſt point de liqueur.

C’eſt ainſi : plus on vaut, plus fièrement on aime ;
Et qui rêve pour ſoi la pureté fuprême
D’aucun terreſtre amour ne daigne emplir ſon cœur.


Sully Prudhomme.