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comme je l’étais par toutes les formes extérieures du bonheur ? Je n’avais qu’une ressource, c’était de le trouver en moi-même.

Ici, mon cher voisin, souffrez que je m’arrête et que je marque d’un repos épique cette heure solennelle où la vie, la vraie vie, commença pour moi.

Vous étiez, m’avez-vous dit, Parisien comme moi ; vous devez donc avoir mémoire de ces visages jeunes et pâles, suspendus à des échines courbées que vous avez entrevues souvent, passant lentement dans les galeries et sur les trottoirs. Le manœuvre qui les coudoie ne voit d’eux que leurs habits noirs qu’il trouve plus riches que sa blouse et qu’il envie. Il insulte à cette fatigue stérile, à ce mécanisme tournant dans le vide, et les appelle heureux !

Ah ! plus heureux qu’eux, mille fois, toi qui du moins n’as à lutter que contre des obstacles visibles et tangibles ; toi, dont chaque coup de marteau est une conquête, et qui t’endors, chaque soir, le front baigné de la sueur salutaire du travail !

Visages pâles ! habits noirs ! livrée du désespoir et de l’impuissance, ah ! que je vous connais ! Que de fois j’ai échangé avec vous un regard sympathique ! que de fois j’ai frotté mon coude à vos pannes fraternelles ! Nos pères nous ont fatigué des récits de Moscou et de la Bérézina ; ils en ont escompté la gloire à grosse usure. Mais nul pinceau ne retracera jamais cette effrayante retraite de Russie, funèbre descente de Courtille exécutée