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Les Fleurs du Mal.

comporte de rimes, eſt incapable d’exprimer une idée quelconque ;

Que la phraſe poétique peut imiter (& par là elle touche à l’art muſical & à la ſcience mathématique) la ligne horizontale, la ligne droite aſcendante, la ligne droite deſcendante ; qu’elle peut monter à pic vers le ciel ſans s’eſſouffler, ou deſcendre perpendiculairement vers l’enfer avec la vélocité de toute peſanteur ; qu’elle peut ſuivre la ſpirale, décrire la parabole, ou le zig-zag, en figurant une ſérie d’angles ſuperpoſés ;

Que la poéſie ſe rattache aux arts de la peinture, de la cuiſine & du coſmétique par la poſſibilité d’exprimer toute ſenſation de ſuavité ou d’amertume, de béatitude ou d’horreur, par l’accouplement de tel ſubſtantif avec tel adjectif analogue ou contraire.


Ici revient, comme application de ſes principes, la prétention d’enſeigner à tous venants, & en vingt leçons, l’art d’écrire convenablement une tragédie ou un poëme épique.

« Je me propoſe, ajoute Baudelaire, pour vérifier de nouveau l’excellence de ma méthode, de l’appliquer prochainement à la célébration des jouiſſances de la dévotion & des ivreſſes de la gloire militaire, bien que je ne les aie jamais connues[1]… »

  1. « Tâche difficle, écrit-il d’ailleurs, que de s’élever vers cette inſenſibilité divine ! car, moi-même, malgré les plus louable efforts, je n’ai ſu réſiſter au déſir de plaire à mes contemporains, ainſi que l’atteſtent en quelques endroits, appoſées comme un fard, certaines baſſes flatteries adreſſées à la démocratie ; j’avais mis même quelques ordures pour me faire pardonner la triſteſſe de mon ſujet. Mais meſſieurs les journaliſtes s’étant montrés ingrats envers ces careſſes, j’en ai ſupprimé la trace, autant qu’il m’a été poſſible, dans cette nouvelle édition. »