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Vie de Charles Beaudelaire.

que le premier devoir du tribunal dût être de ſe récuſer & d’en référer à un mieux inſtruit ? Quoi ! dans un débat commercial, à propos d’une conteſtation de prix, ou de ſalaire, l’expertiſe ſerait de droit ; & on ne l’invoquerait pas pour un délit relevant d’un art dont les juges ignorent les éléments ? Une ſtatue eſt apportée devant le tribunal : elle eſt nue ; & dans nos climats la nudité eſt conſidérée comme indécente & coupable. Auſſi les juges condamnent ou vont-ils condamner. Vient un artiſte qui leur démontre que la ſtatue eſt un chef-d’œuvre ; qu’elle fait honneur au temps & au pays, & que ſa place eſt dans un muſée public, pour ſervir de modèle & d’enſeignement à la jeuneſſe ; & la ſtatue, tout à l’heure réprouvée, eſt portée au Louvre, & ſon auteur récompenſé & honoré. Que pourrait penſer un tribunal de la Vénus couchée ou de la Danaë du Titien ? Que dirait-il de la Léda de Michel-Ange, de l’Antiope de Corrége, des Néréïdes de Rubens, de l’Andromède de Puget ? La loi à la main, il les déclarerait déſhonnêtes & puniſſables.

De même, dans un poëme, le magiſtrat eſt frappé d’un mot cru qui le bleſſe ; il eſt saiſi d’une expreſſion forte qui fait image à ſon esprit ; & il