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Vie de Charles Baudelaire.

graphie de ſon héros, & ſe fâchait ſi on ne ſaiſiſſait pas du premier coup une intention comique, une alluſion, une fineſſe. Au reſte, le premier venu lui ſuffiſait. Il était, comme tous les écrivains qui ont pour habitude de cauſer leurs ſujets & de les uſer dans la converſation, peu difficile en fait d’auditoire. Un garçon de café, pourvu qu’il ſût parler anglais, lui ſervait de prétexte à diſcuter le ſens d’un mot, d’une expreſſion proverbiale, d’un terme d’argot. Il prit longtemps pour conſeil un tavernier anglais de la rue de Rivoli, chez lequel il allait boire le wiſky & lire le Punch, en compagnie des grooms du faubourg Saint-Honoré.

Ce qui ôte tout ridicule à cette manière de procéder, c’eſt le résultat. En allant ainſi de l’un à l’autre, du littérateur à l’épicier, Baudelaire ſavait ce qu’il faiſait. Il entretenait ſon eſprit par la contradiction dans une gymnaſtique perpétuelle. De ſon voyage aux Indes il avait rapporté une connaissance très-ſuffiſante de la langue anglaiſe. Mais pour traduire un auteur aussi ſubtil que Poë, & auſſi moderne, il fallait ſavoir plus que l’anglais littéraire. Son ironie froide, impaſſible, ſe diſtille en demi-ſens, en équi-