Page:Asselineau - Charles Baudelaire - sa vie et son œuvre.djvu/44

Cette page a été validée par deux contributeurs.
35
La Révolution de Février.

tante & d’un but unique. Le but pour Baudelaire, c’était le Beau ; ſa seule ambition était la gloire littéraire. On échappe ainſi aux préjugés & aux illuſions impoſées par la ſolidarité : on voit les torts des uns & des autres ; on n’eſt dupe d’aucun côté. Et c’eſt ainsi que l’on peut dire que pour les eſprits élevés la ſageſſe eſt faite de contradictions.


Je n’ai pas, écrivait Baudelaire, de conviction, comme l’entendent les gens de mon ſiècle. Il n’y a pas en moi de baſe pour une conviction parce que je n’ai pas d’ambition[1] — Les brigands ſont convaincus — de quoi ? — qu’il leur faut réuſſir. Auſſi réuſſiſſent-ils. — Pourquoi réuſſirais-je là où je n’ai pas même envie d’eſſayer ?

J’ai cependant quelques convictions dans un ſens plus élevé & qui ne peut être compris par les gens de ce temps-ci.


Quoi de plus abſurde que le Progrès puiſque l’homme, comme cela eſt prouvé par le fait journalier, eſt toujours ſemblable & égal à l’homme, c’eſt-à-dire toujours à l’état ſauvage ? Qu’eſt-ce que les périls de la forêt & de la prairie auprès des chocs & des conflits quotidiens de la civiliſation ? Que l’homme enlace ſa dupe ſur le boulevard, ou perce sa proie dans des forêts inconnues, n’eſt-il pas l’homme éternel, c’eſt-à-dire l’animal de proie le plus parfait ?


Je comprends qu’on déſerte une cause pour ſavoir ce qu’on éprou-

  1. On comprend qu’il s’agit ici d’ambition dans le ſens politique & des affaires.