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Vie de Charles Baudelaire.

de ſanté où on l’inſtalla, à Chaillot, il prenait allégrement ſa douche, chantait à tue-tête & écoutait avec plaiſir les entretiens qui ſe tenaient devant lui, ſurtout ſi ſes geſtes, ſi ſes exclamations étaient compris. Ses anciens amis, plus habiles que les autres à démêler le ſens de ſes grimaces & de ſes pantomimes, avaient néanmoins quelquefois bien du mal à l’entendre. Souvent, en nous voyant nous ingénier pour deviner ce qu’il voulait exprimer, il étendait la main en ſigne d’apaiſement, comme pour nous dire : — C’eſt bon ; cela n’en vaut pas la peine. D’autres fois, il inſiſtait avec véhémence, voulant à toute force être compris. Il y dépenſait une énergie effrayante & ſe fatiguait horriblement. Une fois compris, il tombait ſur ſon divan, épuiſé par ſes efforts.

Parfois, un nom plus facile à prononcer que d’autres lui jailliſſait tout à coup de la gorge. Il le répétait à ſatiété, d’un air de triomphe, comme s’il eût été fier d’une conquête ; mais dans d’autres moments, au milieu de la ſéance la plus animée & la plus gaie, le regard morne & profond qu’il plongeait dans les yeux de ſon viſiteur, l’expreſſion de mélancolie & de découragement avec laquelle il montrait ſa main inerte, atteſtaient