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L’ŒUVRE DE L’ABBÉ GROULX

races d’après leur richesse matérielle, avocat de grandes firmes anglaises qui lui font la vie large, Lantagnac nourrit pendant vingt ans l’illusion qu’il s’est anobli en épousant Maud Fletcher. Ne le jugeons pas trop sévèrement : dans les mêmes circonstances, la moitié de la bourgeoisie de la rue Saint-Hubert en ferait autant. Que lady Atchoum-Baker ouvre aux femmes de nos épiciers, de nos entrepreneurs en bâtiments, non pas ses salons, mais le quartier de ses domestiques, et deux sur trois ne voudront plus fréquenter ailleurs ; l’ignorance fait encore chez nous beaucoup de mal. Mais probe, laborieux, de mœurs irréprochables, aimant sa femme et ses enfants, religieux, nullement dépourvu de lecture, Lantagnac est quant au reste une âme supérieure. La supposition de l’abbé Roy qu’il a « oublié le français » est toute gratuite ; ce que l’abbé Groulx entend ici par « réapprendre le français, » c’est, à l’âge de quarante-trois ans, lier connaissance avec LePlay, Taine et Fustel de Coulanges. Lantagnac se qualifie de renégat dans son désespoir d’avoir fait fausse route, mais il ne l’est pas au fond du cœur. Qu’au milieu des luttes scolaires qui se livrent sous ses yeux il reprenne contact avec une terre natale où fleurissent la bonhommie, la loyauté, la politesse, les vertus domestiques, la pureté des mœurs, l’amour de la justice, une langue française pleine et savoureuse, et à l’instant il éprouvera le coup de foudre qui a valu à nos paysans l’amitié affectueuse d’étrangers comme Murray, Carleton, Prévost, Elgin et Dufferin. Il ne faudrait pas remonter très loin dans notre histoire contemporaine pour trouver d’illustres exemples de ces subits retournements. Quelques mois avant sa mort, Wilfrid Laurier dit dans une assemblée de Canadiens-Français, un jour de Saint-Jean-Baptiste : « Il nous faudra peut-être lutter très, très longtemps. » Jamais avant ce jour on ne l’avait vu prendre part à une manifestation canadienne-française.