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PRÉFACE

que pour une fois il s’écria : « Soyons folichons ; laissons résonner parmi les morts la voix d’un humoriste ! »

Le lecteur prenant la chose de même, l’article fut bientôt oublié. Au cas cependant que quelques-uns en aient gardé souvenir, je dirai — comme la chose me semble à moi — pourquoi Fournier, sans avoir jamais changé d’opinion, consacra à la composition d’une anthologie des poètes canadiens le loisir de ses dernières années.

Si plaisant que cela puisse paraître, je connus Fournier à la Presse. C’était à l’automne de 1903. J’avais vingt-huit ans ; je venais de résigner les fonctions de secrétaire particulier de M. Gouin pour entrer à ce journal comme directeur de l’information. Lui, à peine sorti de l’adolescence, il était reporter. Cinq semaines plus tard, nous avions l’un et l’autre quitté les messieurs Berthiaume, moi pour fonder, avec M. Bourassa, le Nationaliste, lui pour passer au Canada, d’où il venait bientôt nous rejoindre dans une des entreprises politiques les plus hardies et, à tout prendre, les plus étonnantes de ces dernières années. Le Nationaliste avait vu le jour en mars 1904 ; au commencement de 1908, je l’abandonnais, usé. Fournier, qui collaborait depuis quelque temps au journal sous un pseudonyme, m’y remplaça. En mars 1910, nous quittions ensemble le Devoir, vieux de deux mois, à la fondation duquel nous avions tous deux modestement contribué. Il passa rapidement à la Patrie, puis fonda l’Action ; cinq ans plus tard il renonçait au journalisme, après une carrière d’un peu moins de huit années. À ce moment, en politique, il était déjà d’un profond pessimisme ; que de fois ai-je entendu dire à cet homme droit, sincère, désintéressé, qui avait à mainte reprise bravé la prison pour ses idées : « À quoi bon ? »