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DE NOS BESOINS INTELLECTUELS

cette conception erronée de la pédagogie a chez nous, au point de vue national, une conséquence non moins lamentable, qui est de fermer à l’idée française celles des cases cérébrales où s’élaborera plus tard le vocabulaire financier, industriel et commercial. Pour une race dont l’existence même est dans une large mesure liée à la finance, à l’industrie et au commerce, le fait vaut la peine d’être médité.

Nous croyons, nous, qu’à la seule condition de compléter sur des sujets spéciaux ses connaissances d’anglais, le jeune Canadien-Français qui au sortir de l’école commerciale saurait raisonner, calculer et compter parfaitement en français deviendrait vite le plus apte à gagner sa vie. La prétention des illettrés, c’est que ce jeune homme aurait moins de chances de succès que ces rutilants petits lauréats de calcul et de comptabilité anglaise qui de leur crâne bien léché, mal bourré et quelque peu enflé ne sauraient tirer une seule phrase viable, anglaise ou française. Admettons pour un instant la prétention des illettrés : va-t-on au moins s’ingénier à rétablir par d’autres moyens dans l’intelligence de l’élève, au profit du français, l’équilibre qu’un enseignement mal conçu y aura détruit ? J’ai des raisons toutes particulières de ne le pas croire, et voici lesquelles.

Un de mes amis a l’un de ses fils à l’externat d’une de ces écoles. Ayant remarqué que souvent, après sept heures de classe, le jeune homme doit encore travailler deux ou trois heures à la maison, il demande des explications aux directeurs. — « Cher monsieur », répondent ceux-ci, « votre fils n’est pas traité plus mal que nos pensionnaires, qui font exactement le même travail. — Mais alors, les pensionnaires aussi seraient surmenés… — Mon cher monsieur, le soir, s’ils ne travaillaient pas, ils n’auraient rien à faire. —