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suadés, la majorité n’en aurait pas moins fait tout ce qu’elle a fait. Mais l’histoire serait peut-être différente si nous avions su prévoir et nous défendre, dès le principe, énergiquement, et jusqu’à la restauration du droit.

Aujourd’hui, quelque lamentable que soit la ruine, n’abdiquons aucune de nos espérances ; gardons dans nos mains le manche et la cognée… Après une trop longue période d’indifférence et de léthargie, voici que nous assistons à un incomparable réveil de la race… Laissons là les espérances extravagantes et attachons-nous à la solide réalité. Et la réalité, c’est que nous sommes actuellement dans la Puissance du Canada deux millions de Canadiens français. Nous avons un imprenable pied-à-terre dans la province de Québec ; nous occupons un territoire qui a l’unité géographique, nous avons toutes les richesses du sol, toutes les voies de communication, tous les débouchés vers la mer, toutes les ressources qui assurent la force et l’indépendance d’une nation. Nous pouvons, si nous le voulons, si nous développons toutes les puissances de notre race et de notre sol, devenir assez forts pour prêter une assistance vigoureuse à tous nos frères dispersés.

Si la pensée de l’avenir fait entrer dans nos poitrines des doutes trop angoissants, c’est que nos raisonnements s’échafaudent comme si nous touchions à de l’immuable. Nous ne tenons aucun compte des futurs de l’histoire et de cet infatigable facteur qui s’appelle le temps. Nos pronostics se déroulent comme si ces grandes choses très humaines, qui s’appellent la république américaine et l’empire britannique, avaient les promesses de l’éternité.

L’avenir et la Providence vont travailler pour nous. Joseph de Maistre écrivait, au lendemain de la Révolution française, que Dieu ne fait de si terribles nettoyages que pour mettre à nu les assises de l’avenir. Croyons d’une foi ferme qu’après le bouleversement de la grande guerre il y aura place pour de merveilleuses constructions. Nous faisons seulement cette prière à nos dirigeants et à tous les chefs de notre race, de savoir prévoir, et d’agir. De grâce, qu’ils n’abandonnent plus à l’improvisation et à une action incohérente le développement de notre vie ; que, pour la vanité d’un patriotisme trop largement canadien, ils ne nous sacrifient point au rêve d’une impossible unité ; qu’ils sachent réserver l’avenir ; qu’avant de conclure et de prendre parti sur nos destinées, ils tiennent compte des prémisses de notre histoire, et Dieu ne laissera point périr ce qu’il a conservé par tant de miracles.