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ses historiens ? Pour découvrir ces richesses du passé, nous n’aurions qu’à faire cesser notre indifférence inexcusable pour les choses de notre pays, qu’à perdre une bonne fois pour toutes notre état d’âme d’émigrés à l’intérieur. Il ne s’agit point, comme on nous le fait dire stupidement, de cesser nos relations avec la France, et de prétendre à une sorte d’indépendance intellectuelle. Mais il s’agit bien, par exemple, de ne pas faire aboutir la culture au déracinement et de ne plus tant mépriser ses compatriotes et la patrie canadienne, par ignorance ou par manie d’exotisme.

Autrefois, j’en suis sûr, quand nos gars perdus dans les pays d’en haut, poussant leur canot toujours de l’avant, vers des régions mystérieuses, se voyaient tentés de renoncer au retour, de se laisser prendre pour jamais par l’attirance des bois, soudain devant leurs yeux, passait, étreignante, la vision de la terre natale. Là-bas, bien loin, plus loin que les « mers douces » et plus loin que la Mattawan et l’Outaouais, sur les rives du fleuve, lentement, dans l’air apaisé, ils entendaient tinter un clocher ; les grandes ailes d’un moulin tournoyaient dans l’air et semblaient leur faire signe, et dans l’échancrure de la forêt se déployait la terre paternelle, calme, sous la descente du soir, avec la silhouette du défricheur travaillant pour deux et pour trois, s’épongeant le front devant l’amas des souches roulées, pendant qu’au pas de la porte de la maison blanchie une femme vieillie par les vides du foyer plus que par les labeurs regardait du côté de la route, par où les enfants étaient partis et par où, sans doute, ils reviendraient. Les gars voyaient passer devant leurs yeux cette scène vivante, douce et prenante bucolique, pendant que, silencieux, l’aviron presque en arrêt, ils poussaient déjà plus mollement leur coquille de bouleau. Tout-à-coup, autour d’eux, la voix des clochers lointains se mettait à vibrer plus fort, plus nostalgique ; là-bas les ailes du moulin tournaient plus vite, leur faisaient des signes plus pressants. Et les canotiers du fleuve Colbert ou des Arkansas, vaincus par cet appel de la terre et du sang, délivrés du sortilège des aventures, tournaient la proue de leur canot, et reprenaient la route du pays.

Voilà bien longtemps que nous sommes, nous aussi, des fils déracinés du Canada, des chercheurs d’aventures intellectuelles dans tous les mondes enchantés. Les temps sont proches, ce nous semble, où pauvres prodigues dispersés, maintenant que nous reviennent plus souvent l’ima-