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Dans la douloureuse histoire des vaincus de 1760, un des épisodes les plus poignants sera bien le désarmement des populations.

Ainsi, dit l’historien, ainsi le désarmement ne serait pas celui d’une armée, mais le désarmement d’un peuple. Et alors qui pourrait s’étonner de l’émotion de nos sens ? C’est plus qu’une arme qu’on va leur prendre, c’est un morceau de leur histoire, et quelque grave que le mot paraisse, presque une pièce de leur ordre social. Depuis les temps lointains où le vieux mousquet fixé à la charrue se promenait dans les premiers défrichements, il est resté pour nos ancêtres le compagnon inséparable. Autour du fusil flotte la légende militaire et l’épopée des voyages merveilleux. Le long canon effilé, mâté à l’avant des canots recourbés, reste pour tous ceux de 1760 une vision aussi familière, aussi liée aux mœurs, à la vie commune, que celle des faisceaux d’armes devant le campement ou celle du fusil suspendu à la poutre du plancher de haut. Dans un pays de chasse, de pelleteries, de mœurs féodales, n’était-ce pas une partie intégrante du mobilier et même un peu le gagne-pain ? Comment, sans fusil, apporter au budget de la famille le supplément du gibier ou de la fourrure, et comment aller devant le manoir planter le mai ou faire les salves annuelles des feux de la Saint-Jean ?

Historien d’une civilisation, les unités humaines intéressent peu l’abbé Groulx ; ce qui arrête son attention, c’est la figure anonyme qui incarne un état social, le trait qui éclaire et caractérise un milieu ou une époque. Dans la reconstitution synthétique du passé, il aura égalé le plus beau Michelet — celui de qui on a pu dire, à propos de certains chapitres de son Histoire de France, que ce qu’il n’avait pas su il l’avait deviné. Et pendant que d’autres — historiens ou orateurs — ne purent jamais enlever à leurs bonnes pages ou à leurs péroraisons