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Bondit sur les flots d’or du grand fleuve inconnu.

Ils vont, les joyeux coureurs de fleuves, avec une auréole au front, une chanson française aux lèvres, et ils mettent à la marge de notre histoire je ne sais quel passionnant merveilleux. Aujourd’hui encore, nul de nous ne peut jeter les yeux sur une vieille carte de la Nouvelle-France sans éprouver un étrange sentiment de nostalgie, comme ferait un fils déchu ou proscrit qui regarderait de loin la vieille splendeur familiale.

Au retour d’une course rapide au lac Champlain et aux pays de l’Ouest, où il a fait, en compagnie de Kalm et de Charlevoix, l’inspection de nos avant-postes, il revoit les censitaires de Robert Giffard poursuivant devant Québec, au pied des premiers contreforts des Laurentides, leur tenace corps-à-corps avec la forêt. Aussitôt sa vision s’élargit ; d’un coup d’œil il embrasse dans toute sa grandeur et avec ses merveilleuses promesses le champ entier du défrichement :

Là s’étalent, entre deux bordures de forêt, le labeur de l’énergie paysanne et la continuité de son effort. Redisons-le une dernière fois : un spectacle se reproduit uniformément d’un bout à l’autre de notre premier régime, et c’est, malgré les obstacles, malgré les échecs en d’autres domaines, l’infatigable, la triomphante marche en avant du défricheur. Combien fausse et incomplète serait aussi bien notre histoire, avec son seul aspect politique et militaire, dépouillée de l’émouvant relief de son fond de pastorale. Depuis au-delà d’un siècle, l’initiative de la côte de Beauport se répète tout le long du fleuve. Les crises financières se succèdent, la guerre passe ; elles arrêtent à peine le colon. Il essuie quelques sueurs plus brûlantes ; il décroche son fusil quelques semaines ; puis il revient, reprend son travail où il l’a laissé, sans relâche, avec une sublime ténacité. Les éclaircies s’ajoutent aux éclaircies, les fermes aux fermes, les clochers aux clochers, et, de ces coups de hache et de ces coups de charrue du petit défricheur, naît la Nouvelle-France.