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quarts d’heure j’essayai vainement de lui faire entrer dans la tête que nous ne sommes pas des sauvages;il ne lâchait sa marotte que pour y revenir l’instant d’après. Quand je le vis décidé à nous faire un article de sa façon, je lui dis : « Mon ami, ce que vous semblez chercher dans notre organisation militaire , c’est le pittoresque. Je vais mettre par écrit un certain nombre de faites, de données exactes, quoique pittoresques, etc, sur quoi vous pourrez édifier votre article ; cela vaudra mieux, n’est-ce pas, que de s’en rapporter à l’imagination ? » Il accepta avec effusion. Quelques heures après je lui remettais un manuscrit où j’avais résumé succintement tout ce que j’imaginais qu’un Français pût désirer lire sur l’armée canadienne : effectif en France, en Angleterre et au Canada;mode et procédés de recrutement;composition ethnique;traits particuliers (officiers, civils de la veille, etc.);et ainsi de suite. Eh beinbien ! le cochon,il en est revenu à sa marotte. Mes notes,il ne s’en est servi que dans la mesure où elles pouvaient prêter de la vraisemblance à ses compntes fantastiques. Et le plus beau, c’est qu’il m’attribuâit tout cela ! Son article sera,par mes soins ,reproduit en Canada, mais avec des commentaires qui, je l’espère, me vengeront.

Nos fonctions nous mettent fréquemment en contact avec du monde intéressant. J’ai rencontré, entre autres, MM. Ribot et Painlevé, Lord Esher ( Eminence grise de l.ambassade anglaise durant la guerre ),le major Mrx[?]rxx McCormick , fils de l'ambassadeur américain à Pétrograde. Je voudrais avoir le temps de tenir un journal ; j’y consignerais des choses extrêmement curieuses notamment sur les événements de Russie, que les journaux passent sous silence, mais que le monde diplomatique connaît fort bien. Mais le journal resterait par devers moi jusqu’àprès la guerre. Du côté français,en politique ( après trois ans de guerre,hélas! ),ça sent Caillaux, oui, Caillaux ! Combien de centaines de mille hommes auront péri par la faute de ce sinistre épicurien (Vous connaissez le mot dont il redoutait la publication : « J’embrasse ton chat et j’emmerde la République» ) ! Je suis depuis quelques temps les affaires canadiennes ; je ne serais pas surpris qu’il arrivât ce que je n’ai pas le droit de dire, mais ce que vous savez.

M. Dandurand vous a-t-il montré le discours que je faisais en juin dernier à France-Amérique ? Nous (les C.-F.) sommes fréquemment attaqués depuis quelques temps dans la presse française. Il a paru contre nous dans la Victoire, il y a trois mois, un article d!un M. Othon Guerlac, ci-devant professeur de littérature française à Cornell, aujourd’hui employé à la Maison de la Presse, annexe du Ministère des Affaires étrangères. Le dernier article en date, paru dans l’Oeuvre le du [/ au ?] 11 août, est d’un certain Philippe Millet, fils d’ambassadeur ou tout au moins de ministre,s’il vous plaît, et officier interprète près l’armée anglaise. Comment des fonctionnaires publics, surtout du ministère des Affaires étrangères, et des officiers en activité de service, peuvent impunément dénigrer dans la presse un des éléments d’une nation alliée, je n’ai pas encore fini de me le demander. Mais il y a plus. Nombre de Canadiens avaient répondus à Millet. Après dix jours de pourparlers, j’ai réussi à faire accepter une des réponses, signée par un nommé Lacroix, agent industriel (Réflexions…). Mais la Censure en a supprimé tous les arguments capables de blesser la susceptibilité de nos concitoyens anglais (caractère essentiellement anglais de l’armée canadienne, difficultés scolaires, etc.) Lord Brooke et moi (car cet Anglais partage là-dessus mon avis), nous irons demain demander au ministre de la guerre pourquoi la Censure — la Censure française ! -- ferme les yeux quand on nous attaque et les ouvre quand nous tentons de nous défendre. Il y a des fois où ,si j’étais dans la politique,la lecture du Times et divers autres indices me feraient quasiment croire que le foyer des manoeuvres anti-canadiennes-françaises s’est déplacé de Toronto à Londres. Quant à la presse française, je comprends très bien qu’elle ne publie rien de nature à méconter l’Angleterre, mais pourquoi diable nous attaque-t-elle ? Je ne suis pas ici pour faire de la polémique, même dans l’intérêt de mes chers compatriotes ; croyez cependant que je ne nous laiserai pas maganer sans coup férir….

J’ai commencé ma lettre le 27 ; vous verrez à la page &xx 13, par la couleur de l’encre, qu '5[?]lle a été interrompue. De fait, je la finis le 29 au soir.