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Jenny attendait patiemment qu’il plût à son mari de s’expliquer.

Celui-ci s’arrêta de nouveau et reprit :

— Cet homme est sans pitié.

— Il a refusé ? gémit la femme.

— Je lui ai dit que la misère serait grande jusqu’à l’année prochaine par suite de la mauvaise récolte, je l’ai supplié d’attendre encore six mois, il a été inflexible. J’ai insisté ; il s’est emporté, il m’a injurié, menacé, enfin il a ajouté : Si dans quinze jours vous ne m’apportez pas la moitié de ce que vous devez, je vous fais expulser.

— Le misérable ! exclama Tomy en serrant le poing.

— Paix, mon fils, il ne sert à rien de se révolter ; nous autres, infortunés paysans irlandais, nous sommes attachés à la glèbe, instruments de fortune pour les landlords qui nous font exploiter par leurs baillis, pendant qu’avec le fruit de nos sueurs ils mènent en Angleterre une vie somptueuse.

— Hélas ! soupira la femme, notre condition est bien malheureuse. Il est dur de vivre toujours dans la misère et de n’être même pas sûr de conserver cette situation insuffisante qu’un caprice du maître peut vous enlever à tout moment.

— Comment nous procurer la somme nécessaire ! reprit le paddy avec anxiété.

— Hélas ! répondit Jenny, espères-tu la réaliser ?

— C’est impossible, fit son mari d’une voix éteinte.

— Mon Dieu ! qu’allons-nous devenir, pendant la mauvaise saison, avec nos sept enfants et celui que nous attendons ? nous mourrons de misère en mendiant.

Elle se mit à pleurer bruyamment, d’autres sanglots répondirent aux siens, c’était un spectacle de désolation.

— Malédiction ! cria le fermier dont le visage exprimait une violente douleur.