Page:Arvor - Dent pour dent, scènes irlandaises, 1906.djvu/8

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 6 —

un feu de tourbe, une femme reprisait de vieux vêtements ; beaucoup d’enfants, dont on peut fixer approximativement le nombre à sept, l’entouraient.

L’homme s’arrêta tout à coup.

C’était un robuste paysan de six pieds anglais de haut, large d’épaules et taillé en hercule ; il avait une épaisse chevelure blonde, le teint clair, des traits énergiques et réguliers, une large bouche et un franc sourire. Willy Podgey passait pour le plus bel homme du pays.

Il portait une veste de grosse toile et des culottes d’une étoffe si raide qu’elles se seraient tenues toutes droites à défaut de jambes pour les soutenir ; ses pieds étaient nus dans ses sabots.

Jenny, sa femme, avait eu aussi de la réputation, à l’époque où elle était une grande et belle fille blonde, fraîche et souriante ; depuis, le temps avait quelque peu boucané son gracieux visage, l’embonpoint en faisait une respectable matrone. Sa couronne maternelle allait s’augmenter d’un huitième fleuron ; c’était là un juste motif de préoccupation dans le pauvre ménage, où le travail du père avait déjà tant de peine à nourrir neuf personnes.

Willy était dur à l’ouvrage et Tomy, son fils aîné âgé de seize ans, l’aidait de son mieux, mais la ferme était petite, chère, peu productive et, avec les charges croissantes de la famille, les privations augmentaient chaque jour ; la récolte de pommes de terre avait manqué, c’était la misère en perspective pour l’hiver qui commençait.

— Jenny, dit le paddy, j’ai vu le bailli du landlord.

— Tu l’as vu ? répéta, comme un écho, la femme en tournant vers son mari des yeux anxieux.

— Oui, affirma-t-il.

Et il se remit à marcher lestement, en proie à une pensée absorbante.