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ne parvient à rien découvrir et qui, bous un calme apparent, cache des abîmes sans fond. Si une main téméraire avait jeté dans ces eaux tranquilles un bloc de rochers, on eût vu s’élever une violente tempête, engloutissant par sa violence les roseaux de la rive et les modestes plantes qui confient à ces ondes leur existence incertaine.

C’est ce qui se passait dans le cœur du pauvre Tomy. Pendant qu’il se livrait à ses amères réflexions, un objet que l’obscurité rendait confus s’agita près de lui.

— Qu’est-ce que cela ? fit-il.

La forme devint plus distincte, c’était un enfant.

— Ketty, s’écria le jeune homme d’une voix qui effraya la petite fille, que fais-tu ici ?

Rien ne pouvait être plus désagréable en ce moment à Tomy que la vue de cette enfant ; lui et ses parents la considéraient à tort comme la cause de leur malheur.

« Ah ! se dit Tomy, si cette stupide créature n’avait pas été une fille, nous serions riches, j’épouserais Colette. »

Cette pensée évoquait dans son esprit une vision enchanteresse trop tôt évanouie. Il voyait leur chaumière fraîche, coquette, ornée de meubles neufs, leur cour propre et bien soignée, la riche lady et son bel équipage ; qu’ils avaient été heureux un mois, que de beaux rêves, que de brillantes espérances !…

Et Ketty était venue, cette enfant causerait la ruine de sa famille.

Le jeune homme abaissa un regard de haine sur la petite fille qui se tenait timidement près de lui.

— Que fais-tu ici, vagabonde ? dit-il en la secouant rudement par le bras. Voilà deux fois que je t’adresse cette question.

Ketty avait quatre ans, elle était grêle, malingre, sa figure pâle, ses grands yeux exprimaient la tristesse et la souffrance. Jamais cette jeune âme n’avait reçu une