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William et lui faire expier son bonheur insolent. Il fut au moment de rejoindre Colette.

Que lui dirait-il ? Pauvre, misérablement vêtu, sans position, il ne pouvait obtenir d’elle que pitié ou raillerie.

Ce gueux de Tomy !

Oui, William avait prononcé cette parole, il avait ri de son malheur, il l’avait traité comme un vagabond, un va-nu-pieds.

À cette pensée une colère intense grondait dans l’âme du jeune homme. Il s’élança du côté où William avait disparu.

Tout à coup il cessa sa course folle.

« Que vais-je faire ? se dit-il, je suis plus fort que William, mais il n’est pas seul ; mon agression ne servirait qu’à donner à tous le spectacle de ma jalousie et de ma honte. Attendons, William Pody, fiancé de Colette, nous nous retrouverons !…

« Ah ! murmurait le pauvre garçon en se rapprochant de sa chaumière, un peu d’argent suffit à changer une vie ; quelques livres sterling et moi aussi je pourrais être heureux ; jamais, jamais !… »

Tomy atteignait une allée de peupliers et de frênes qui bordait un étang profond ; la nuit était venue, la lune se levait brillante, reflétant sur la surface unie de l’étang ses rayons argentés ; les saules de la rive penchaient sur les eaux leurs branches flexibles, agitées par la brise du soir ; dans le lointain la chaîne de montagnes se dentelait en sombres festons sur le ciel pur ; aucun bruit ne troublait le silence de la nature, si ce n’est le coassement des grenouilles parmi les roseaux ; dans les grands arbres, le rossignol solitaire saluait la nuit sereine en préludant à son harmonieux concert.

Le jeune homme s’arrêta au bord de l’étang.

Rien ne ressemble davantage à l’âme humaine que cette surface transparente où le regard le plus exercé