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paternelle, le paysan reprenait moins tristement le poids de la vie, éloignant de son âme les pensées de haine et de vengeance.

La famile Podgey pénétra dans la chapelle, le curé montait à l’autel pour célébrer le saint sacrifice de la messe. Les deux jeunes gens s’agenouillèrent sur les dalles du temple et prièrent avec ferveur.

Appuyé à un pilastre brisé, Clary la tête inclinée était absorbée dans une profonde rêverie. Tomy, qui l’aimait sincèrement, lui avait demandé d’assister à son mariage, il y avait consenti d’autant plus que ce voyage n’était pas sans danger et que sa présence pourrait être utile à ses amis. Nature noble et généreuse, il voyait avec tristesse, mais sans envie un bonheur qui anéantissait ses propres espérances ; ce rêve de jeunesse, un instant caressé, s’évanouissait laissant dans son cœur une incurable mélancolie.

Colette s’étant retournée l’aperçut, une ombre passa sur son beau et pur visage ; elle seule avait pénétré le secret de cet amour discret, sans espoir, qui l’avait troublée tant de fois. Elle aimait Tomy, elle se croyait engagée envers lui qui avait tout sacrifié pour elle, aussi son bonheur était-il très grand en l’épousant ; elle eût voulu seulement voir Clary moins malheureux. La félicité est chose si rare que le bonheur de l’un détruit souvent celui de l’autre. Conséquence inévitable de la vie humaine avec ses luttes, ses passions, son mouvement incessant.

La messe terminée, la famille Podgey se rendit près du curé pour le prier de bénir le mariage de Tomy et de Colette. Cette simple et imposante cérémonie s’accomplit devant les témoins émus et recueillis. Le prêtre, informé des détails de la situation des jeunes mariés, leur rappela leurs devoirs réciproques. « Entrez courageusement dans votre vie nouvelle, leur dit-il, le Seigneur vous bénit, soyez-lui fidèle, lui seul peut ren-