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— Calmez-vous, Révérence, reprit William en l’empêchant de s’élancer vers la porte, je ne suis pas un homme atteint de démence ; je ne menace en rien vos précieux jours ; je vous ai prévenu que j’avais une communication importante à vous faire, si vous aviez daigné m’écouter, vous sauriez déjà de quoi il s’agit.

— Vous êtes un insolent, je vous ferai chasser ; ne croyez pas que je laisse insulter en ma personne la haute magistrature dont je suis revêtu.

— Sa Révérence me prête à tort l’intention de l’insulter, je me suis laissé emporter un instant et je la prie de me pardonner ; au surplus je ne redoute pas la prison, j’ai en ma possession une clef qui ouvrirait la porte de tous les cachots.

Le magistrat le regarda de nouveau se demandant si cet homme jouissait bien réellement de toute sa raison, et ses yeux se fixèrent sur le timbre placé non loin de lui.

William avait une physionomie sombre, presque farouche, qui pouvait justifier en partie les craintes du prudent pasteur ; son regard était brûlant, un sourire sardonique plissait ses lèvres. Une lutte terrible se livrait dans cette âme passionnée ; l’amour, la jalousie, la vengeance allaient triompher des dernières résistances de l’honneur ; au mépris d’une promesse solennelle, il deviendrait traître et assassin. Il avait espéré un instant que les recherches impartiales de la justice prouveraient l’innocence de Colette, permettraient son retour et en lui rendant sa fiancée, le dispenseraient d’user du secret fatal qu’il possédait ; mais la conduite du juge le poussait au crime. Sa conscience protestait ; il avait juré au solitaire de ne pas être un traître, il se l’était juré à lui-même, allait-il devenir parjure et meurtrier ? Hélas ! William n’était pas absolument mauvais, mais il aimait sa fiancée, il voulait à tout prix la retrouver, il eût mis l’Irlande en feu pour y arriver.