Page:Arvor - Dent pour dent, scènes irlandaises, 1906.djvu/183

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 181 —

ainsi dire, de nouvelles cordes à sa harpe ; et si les exploits d’Odin et les louanges de Bélus cessèrent de servir de thème à ses brillantes improvisations, au milieu des assemblées et des festins, il trouva dans les mystères de la religion et dans les naïves légendes de l’Église primitive des sujets plus dignes de la haute mission de son art.

Aussi la rapide et complète conversion du peuple irlandais au catholicisme fut-elle due en grande partie aux bardes, qui aidèrent puissamment l’œuvre commencée par les premiers missionnaires, dont ils vulgarisaient les enseignements en les revêtant de ce langage hardi, figuré et seul capable de frapper vivement un peuple chez lequel prédomine l’imagination et l’amour de la forme.

— Voyez comme notre montagne s’est faite belle pour vous recevoir, Colette, dit doucement Clary.

— Si je la visitais en amateur, je la trouverais superbe, mais je ne pourrais y vivre.

— Vous vous y ferez. Quel est le coin de terre qui ne semble beau quand le bonheur y réside ?

— Êtes-vous heureux, vous, Clary ? demanda la jeune fille.

Elle ne vit pas l’expression du visage de son compagnon. mais il y avait une amère tristesse dans sa voix lorsqu’il répondit :

— Non, le bonheur n’est pas fait pour moi.

— Pourquoi donc ? Vous êtes noble et généreux, Dieu ne peut vous refuser votre part de félicité.

— Pensez-vous que tous la reçoivent en ce monde ?

— Vous avez eu de grands malheurs, reprit la jeune fille ; vous êtes jeune, la vie est longue, elle vous ménage peut-être des jours meilleurs.

Clarv secoua négativement la tête.

— Je l’espère, moi, reprit Colette ; je prierai Dieu de