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sage, tu les as repoussés ainsi qu’un vil troupeau, sois maudit !

Le landlord, la tête abaissée, dans l’attitude d’un criminel, écoutait ce flot de malédictions si longuement amassé. Un seul homme n’avait encore rien dit, c’était Clary. Il avait autant souffert que les autres et sa haine était vive contre l’auteur de ses maux, mais dans l’âme noble et droite du jeune homme, le malheur n’avait pu détruire le sentiment de la dignité humaine et du devoir. L’acte accompli en ce moment était un crime. L’homme n’a jamais le droit de se faire justice lui-même ; Dieu, dans ses commandements, le défend formellement.

— À ton tour, O’Warn, dit le chef.

Clary s’avança et d’une voix émue, il prononça ces paroles :

— Il serait indigne de moi de porter le dernier coup à un ennemi vaincu. Je suis prêt à combattre l’adversaire de ma race, les armes à la main sur un champ de bataille ; mais je réprouve le meurtre d’un homme sans défense, tué la nuit, dans le carrefour d’une forêt ; aucune considération ne peut excuser un pareil acte.

Lord Sulton avait relevé la tête, il examinait celui qui venait de parler. À la vue de ce beau jeune homme à l’air noble et doux, un peu d’espoir se glissa dans son âme.

— Qui êtes-vous, demanda-t-il, vous que de si généreux sentiments animent ? Votre visage m’est connu.

— Je suis le dernier des O’Warn.

Le landlord se souvenait parfaitement de cette famille.

— Vous aussi, vous avez à vous plaindre de moi. Vous êtes le digne descendant d’une noble race ; les Anglais eussent dû essayer d’attirer à eux les Irlandais au lieu de les proscrire, c’est une faute qui a amassé des haines profondes. Je travaillerai désormais à cette