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lord, tenu par deux brigands ; le domestique avait été bâillonné et lié à un arbre.

Gaspard regardait froidement son adversaire ; ses yeux étaient l’éclat voilé de ceux de la bête fauve qui couve sa proie ; il rejeta son manteau et écarta en partie le large chapeau qui dissimulait ses traits ; sa taille semblait plus haute, plus menaçante, un sourire sinistre contractait ses lèvres.

En considérant cette assemblée d’hommes énergiques, vêtus de fourrures, dont on ne voyait presque pas le visage, on eût pu se croire au sein d’une réunion de bêtes féroces s’assemblant au plus profond de la forêt pour se disputer les lambeaux d’une proie humaine.

Lord Sulton était brave, doué de sang-froid, mais il comprit de suite que tout secours étant impossible, il allait être victime d’un guet-apens.

— Que me voulez-vous, dit-il ; ignorez-vous qui je suis ?

— Non, répliqua Gaspard d’une voix railleuse, les Irlandais qui ont le malheur de vivre dans ce pays connaissent le noble, le magnanime et humain lord Sulton.

— Pourquoi m’arrêtez-vous ? Est-ce pour me dévaliser ? Je ne refuse pas de vous donner ma bourse, rendez-moi la liberté.

— Nous ne voulons pas de ton or, il est composé de la sueur et du sang de l’Irlande dont toi et les tiens vous vous abreuver à loisir ; ta vie est entre nos mains, tu vas répondre de tous tes crimes.

Le seigneur anglais frissonna, mais il conserva son attitude digne.

— De quel droit prétendez-vous m’interroger, dit-il, vous que la justice a flétris. Êtes-vous innocents pour juger un coupable, alors même que je le serais ? Ce que