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Tomy, atterré, aurait voulu fuir ces hommes sanguinaires dont la société lui pesait ; il espérait du moins n’être pas désigné pour cette coupable exécution. D’autres montagnards pensaient comme lui, mais n’osaient manifester leur opinion, car si le lac eût pu entr’ouvrir ses ondes, il eût montré les cadavres de ceux qui avaient résisté à la terrible volonté du chef.

Clary, pâle, ému, mais d’une nature vaillante, prit place au milieu du cercle et dit :

— Le droit de châtier n’appartient qu’à Dieu, Il jugera les actions de cet homme ; l’assassiner, serait nous rendre aussi misérables que lui.

Gaspard bondit de colère, ses yeux lancèrent des éclairs, l’écume blanchissait ses lèvres.

— Qui ose parler ainsi ? fit-il d’une voix tonnante ; qui ose traiter d’assassins ceux que le pays arme pour sa défense ?

— Le pays ne nous a confié aucun mandat, répliqua froidement Clary ; ce crime ne servirait qu’à attirer sur lui et sur nous de nouveaux malheurs.

— Lâche, trois fois lâche ! s’écria Gaspard. Descendant dégénéré des O’Warn, tu acceptes la tyrannie de celui qui a tué les tiens ! Que faut-il de plus pour émouvoir ton âme faible ? N’y a-t-il pas eu assez de sang versé, n’entends-tu pas l’Irlande gémissante demander des vengeurs ? Clary, lève ton poignard et jure de le plonger dans le cœur du monstre.

— Jamais ! s’écria le jeune homme.

— Misérable ! rugit le chef en s’élançant vers lui.

Clary ne bougea pas.

Plusieurs proscrits se placèrent devant lui.

— Chef, dirent-ils, il n’est pas permis de verser le sang d’un O’Warn.

Gaspard s’arrêta ; le prestige de ce nom était tel qu’il n’osa pas porter sur le jeune homme une main crimi-