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le plus jeune fils du landlord fut retiré, trop tôt malheureusement, de l’étang où je le jetai ; l’incendie qui éclata dans une aile du château, c’est moi qui l’allumai ; on a mis ma tête à prix, mais, avant qu’un traître gagne ces cinq livres sterling, Gaspard a encore quelques comptes à régler.

— Que Dieu touche votre âme endurcie, fit le vieillard en levant vers le ciel sa belle tête vénérable ; rien n’excuse le crime et l’assassin est maudit.

Le solitaire, attristé à la vue de cette perversité, regagna lentement sa pieuse retraite où il s’agenouilla et pria longtemps.

Gaspard, que cette scène avait vivement ému, se promenait de long en large, usant par un exercice violent la profonde colère qui étreignait son âme ardente et vindicative. C’était un homme de quarante ans, aux formes athlétiques ; sa tête avait été belle, une longue barbe inculte couvrait le bas de son visage, l’expression de ses traits était dure, ses yeux avaient un éclat sinistre.

Il revint vers ses compagnons et leur dit :

— Demain, une expédition se rendra à la côte, afin de recevoir le navire qui renferme notre chargement d’alcool ; quoiqu’on dise le bon solitaire, on ne peut refuser à l’Irlandais le whiskey, sa seule consolation ; nous en avons beaucoup fourni et John Buck a été obligé, m’a-t-il dit, d’éteindre ses fourneaux. Je vais désigner six d’entre vous qui partiront sous le commandement de Clary O’Warn.

Celui-ci jouissait parmi ses compagnons d’une considération due à l’ancienneté de sa race. Les Irlandais n’oublient pas ; ils vénèrent encore les descendants de leurs anciens rois ou des chefs de clans qui s’illustrèrent par leurs faits d’armes. Les O’Warn étaient fameux dans l’histoire de l’Irlande, les bardes avaient célébré leurs exploits dans des chants empreints de la douce poésie de la langue gaëlique.