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jourd’hui l’exaspération des montagnards était extrême devant la douleur du pauvre enfant, innocente victime dont ils avaient causé la perte. Des murmures se faisaient entendre ; la révolte grondait dans ces âmes au fond desquelles le sentiment religieux était bien affaibli.

— Noble vieillard, reprit le chef, je vous vénère pour la majesté de votre âge et la sainteté de votre vie, mais je suis bien loin d’atteindre à cette mansuétude que votre âme renferme. Plus rapproché du ciel que de la terre, votre esprit plane en de pures régions, le trouble des passions ne peut l’ébranler. Moi, je suis, encore jeune, je suis homme, j’ai le cœur rempli d’nne soif de vengeance non assouvie ; je laisse la coupe de l’iniquité se remplir goutte à goutte lorsque viendra l’heure de la justice, je frapperai ; il faut des vengeurs à l’Irlande.

— Vous n’avez pas le droit de parler ainsi, Gaspard ; sachez ceci, ô mes enfants, ce sont les péchés des Irlandais, ce sont leurs vices, ce sont des sentiments comme les vôtres qui perpétuent le malheur de notre pauvre patrie ; la consolation du Seigneur ne peut descendre sur un peuple qui nourrit des pensées de haine ; Jésus-Christ est mort sur la croix en pardonnant à ses bourreaux, il nous a donné l’exemple que nous devons suivre si nous voulons obtenir un jour l’entrée du royaume céleste.

— Jamais ! s’écria Gaspard au comble de l’exaltation, dussé-je être maudit de Dieu, j’accomplirai la tâche que je me suis donnée. Écoutez. J’avais vingt-cinq ans, j’étais heureux, car au sein de ma pauvreté rayonnait le bonheur qui embellit les plus tristes existences ; je venais d’épouser la jeune fille que j’aimais ; sa douceur, ses vertus, sa tendresse faisaient ma joie. Ma femme était belle, trop belle pour la femme d’un misérable paddy, le landlord le jugea ainsi, mais Dora était fervente catholique, elle avait une âme droite, incapable de