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était en mon pouvoir d’anéantir jusqu’au dernier des Anglais, je le ferais avec joie ; j’entasserais leurs cadavres dans les plaines où gisent les ossements pulvérisés de nos ancêtres et les oiseaux de proit dévoreraient leurs chairs ! Je voudrais voir en flammes leurs châteaux, leurs forêts, les parcs spacieux où s’épanouit un luxe insolent qui outrage la misère de leurs victimes ; je voudrais entendre leurs rugissements de douleur, repaître mes yeux du spectacle de leur agonie et, dans le délire de ma joie, je dirai : Ma patrie, tu es vengée ; mon père et ma mère massacrés, vous êtes vengés ; ma femme, mon fils, vous êtes vengés ; vous tous qui gémissez et qui souffrez, vous êtes vengés ! Voilà la justice, voilà la réparation, voilà le triomphe !

Le visage du bandit avait pris une expression féroce, ses yeux étincelaient, l’écume bordait ses lèvres, son poing crispé menaçait dans le vide, il était effrayant à voir.

— Horreur ! s’écria le vieillard en redressant sa haute taille. Mes enfants, je vous adjure, au nom de Dieu, de bannir de votre âme de semblables pensées. Gaspard, votre exaltation vous égare, notre sainte religion n’interdit pas la résistance légitime ; elle a béni les justes revendications de l’Irlande tant de fois écrasée, mais elle défend de conserver dans son cœur aucun sentiment de rancune. Ô mes enfants, je sais tout ce que la pratique de cette sublime vertu peut coûter à un Irlandais, mais le peuple qui a conservé sa foi à travers trois siècles de persécution est assez grand pour se montrer magnanime ; ce serait la suprême victoire de nos maîtres, s’ils arrachaient de l’âme de l’Irlandais ses vertus catholiques.

La voix du solitaire était calme, grave, sereine, elle imposait le respect à ces hommes aigris ; ses avertissements étaient presque toujours écoutés ; plus d’une fois il avait fait tomber le poignard de leurs mains. Au-