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Le solitaire s’arrêta un moment pour dominer l’émotion qui s’emparait de lui à ce souvenir, puis il reprit.

« J’avais une dizaine d’années quand un nouveau malheur s’abattit sur les pauvres paysans de notre contrée. Les grands propriétaires, voulant se créer des revenus plus considérables, commencèrent à convertir en prairie leurs terres labourables et à enclore les pâturages communs pour faire l’élevage des bestiaux. Cette mesure eut pour conséquence l’expulsion d’une foule de petits fermiers, la ruine de beaucoup de familles pauvres et la cessation de travail pour les journaliers qui étaient presque tous Irlandais et catholiques. Les laboureurs congédiés et ceux qui croyaient avoir autant de droits que le seigneur sur ces pâturages, qui de temps immémorial avaient appartenus à tout le monde, se réunirent en bandes menaçantes, s’armèrent et parcoururent la campagne brisant les clôtures, incendiant les fermes riches et rançonnant les protestants. Ils formèrent la terrible association des White-Boys (Société des Enfants blancs, ainsi nommés à cause de la souquenille blanche qu’ils portaient tous en signe de ralliement.)

« Cette association se fortifia avec le temps et devint le noyau d’un grand parti insurrectionnel. Vainement le gouvernement essaya de le disperser par les voies légales, personne n’osait déposer contre les accusés, tant la terreur qu’ils exerçaient était grande ; ceux-là même qu’ils avaient pillés n’osaient reconnaître aucun de ceux dont ils avaient à se plaindre.

« Mon père fut un des évincés, il refusa de prendre rang parmi les révoltés et eut mille difficultés à trouver une ferme où il nous fut possible de ne pas mourir de faim.

« Vous connaissez, comme moi, les événements douloureux de notre histoire nationale, je ne parlerai donc que des faits où j’ai été mêlé.

« Votre grand-père était un neveu de mon père ;