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— Un peu plus jeune. Si mes calculs sont exacts, j’ai dépassé ma centième année.

— Comment pouvez-vous vous rendre compte du cours du temps ? interrompit William.

— J’ai un moyen facile. J’ai gravé sur l’angle d’un rocher la date de l’année où j’ai pris possession de cette cellule, ensuite voilà ce qui, depuis cinquante ans, a marqué pour moi la durée du temps.

Dans un enfoncement était une sorte d’armoire naturelle que masquait un battant de joncs tressés. Le solitaire l’ouvrit, en tira une corbeille de bois divisée en trois compartiments. L’un renfermait sept cailloux de forme différente et qui marquaient les jours ; quand la semaine était terminée, le vieillard plaçait une autre pierre dans le second compartiment ; lorsqu’il y en avait quatre, le compartiment des mois recevait une pierre ; à la douzième, il inscrivait l’année écoulée sur un rocher en y pratiquant une profonde entaille.

— Vous voyez, dit-il en finissant sa démonstration, que je possède un calendrier infaillible. Maintenant, jeune homme, asseyez-vons, et écoutez si vous voulez savoir ce que j’ai à vous dire. Vous connaîtrez mon histoire, elle se lie par plus d’un point à celle de votre famille qui est un peu la mienne, car une parenté éloignée nous unit.

— Parlez, noble vieillard, je vous écoute.

Le solitaire commença :

— Je naquis vers le milieu du siècle dernier dans ce même comté de Cork. L’Irlande déchirée, épuisée par ses longues résistances à l’oppression anglaise, agonisait sous le joug implacable du vainqueur qui punissait ses tentatives de révoltes par un redoublement d’intolérance et de cruauté et voulait lui arracher la vie ou la foi. Malgré les stipulations du traité de Limerick (1691) qui garantissait aux Irlandais la liberté de conscience, la persécution religieuse n’en avait pas