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si un événement imprévu n’était venu changer tout à coup la face des choses.

Le jeune William, joli enfant de dix ans, qui s’était glissé dehors pour s’amuser avec les oies, entra dans la chaumière, rouge, essoufflé.

— Qu’y a-t-il ? demanda Jenny inquiète, car un malheur n’arrive jamais seul.

— Mère, dit l’enfant, une voiture, une belle voiture et deux beaux messieurs avec des casquettes dorées.

— Les équipages ne fréquentent pas notre cottage, reprit le père. Tomy s’était précipité vers la porte.

— Il y a une dame dans la calèche, dit-il.

— Une dame, répéta Jenny, que peut-elle vouloir à de pauvres gens comme nous ?

Une voiture pénétrait, en effet, dans l’étroit espace qui formait devant le cottage une sorte de cour.

Un laquais descendit du siège et vint ouvrir la portière.

— Hé bien — James, dit une voix dure et arrogante, avez-vous pensé que je pourrais poser le pied dans un pareil bourbier ?

Le devant de l’habitation était bien sale, pour une riche lady habituée à fouler le sable fin d’allées soigneusement entretenues.

— On ne m’avait pas dit que je venais dans une chaumière aussi peu abordable, je croyais arriver chez un honnête fermier.

— Un honnête fermier, oui, milady, répondit Willy en s’approchant, mais dans notre pays les honnêtes fermiers sont de bien pauvres diables.

— Je ne puis descendre là, insista sèchement la dame.

Le laquais eut une heureuse inspiration. Ne pouvant, comme lord Raleigh, jeter son manteau de velours sous les pieds de milady, il avisa dans un coin de la cour un tas de fougère fraîche et dit à Tomy :

— Couvrez-en le devant de votre porte.