Page:Arvor - Dent pour dent, scènes irlandaises, 1906.djvu/109

Cette page a été validée par deux contributeurs.
— 107 —

vers une croix de bois qui était suspendue aux parois des rochers :

« L’heure est venue, Seigneur, que votre nom soit béni ! »

William s’étonnait des paroles du solitaire ; il pensait que son grand âge lui avait enlevé l’entière lucidité de son esprit ; cependant ses yeux brillaient d’une intelligence qui inspirait le respect et la crainte.

— Pieux ermite, reprit William, vous ne m’avez pas dit comment vous m’aviez reconnu sans m’avoir jamais vu ; votre sainteté vous met sans doute en rapport avec les esprits célestes, ils vous révèlent les secrets qui échappent aux autres hommes.

— Non, mon fils, je ne mérite pas ces grâces merveilleuses, accordées par Dieu à des solitaires que son seul amour animait et que leur vie angélique élevait au-dessus de l’humanité déchue ; je suis un pécheur, j’ai connu les passions et les luttes de la vie et mon âme, brisée par la douleur, n’a pas trouvé de suite le calme des serviteurs de Dieu. Aujourd’hui, vieux débris d’un autre siècle, mon âme plane sans entrave dans les régions d’un monde meilleur, attendant humblement qu’il plaise au Seigneur de rompre les derniers liens de mon enveloppe terrestre. Je n’ai jamais vu votre visage et cependant il m’est connu, il rappelle exactement un autre visage que cinquante ans de solitude et de prière n’ont pas suffi à effacer de mon souvenir.

— Expliquez-vous, reprit William désireux de connaître ce secret qui paraissait peser sur l’existence du vieillard, et qui se rapportait à quelqu’un des siens ; vous voulez sans doute parler de mon grand-père, on m’a souvent dit que je lui ressemblais beaucoup.

— Oui, beaucoup, affirma le vieillard.

— Je ne l’ai jamais connu, reprit William ; s’il vivait, il serait, en effet, à peu près de votre âge.