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Ainsi il avait vécu n’importe où, faisant n’importe quoi, travaillant ou désœuvré, selon son caprice; il paraissait aimer boire et avoir connu beaucoup de femmes. Mais rien de ce destin sombre et terrible, que l'âme rêveuse de Lyda eût désiré ne se manifestait dans cette existence. Il n'avait sur la vie aucune idée générale, il ne haïssait personne et ne souriait pour personne.

Certaines expressions qui lui échappèrent paru- rent à Lyda simplement triviales. Ainsi, Sanine men- tionna en passant qu'à un moment donné, sa dé- tresse fut telle que déguenillé, il avait été obligé de raccommoder, lui-même, sa culotte.

— Tu sais donc coudre, demanda involontaire- ment Lyda vexée et déconcertée, car cela lui sem- blait peu héroïque et peu masculin.

— Je ne savais pas auparavant, mais comme il l’a fallu, j'ai appris, répondit en souriant Sanine qui devinait les sentiments de sa sœur.

La jeune fille haussa légèrement les épaules, se tut et regarda dans le jardin. Elle avait l'impression de s'éveiller le matin, après un rêve enso- leillé, sous un ciel gris et froid.

La mère aussi éprouvait une sensation pénible ; la pensée que son fils n'occupait pas dans la société cette place honorable qu'elle avait espérée, lui était particulièrement douloureuse. Elle commença par lui dire qu'il était impossible qu'il continuât la vie qu'il avait menée jusque-là, et qu'il lui faudrait s'arranger plus convenablement. Elle avait parlé d'abord avec circonspection, craignant de blesser son fils, mais, voyant que ce dernier ne lui accordait aucune attention, elle finit par s'irriter; elle