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LE THÉATRE DE LA CRUAUTÉ

première notion des moyens de canaliser la tentation de ces idées.

Il faut parler maintenant du côté uniquement matériel de ce langage. C’est-à-dire de toutes les façons et de tous les moyens qu’il a pour agir sur la sensibilité.

Il serait vain de dire qu’il fait appel à la musique, à la danse, à la pantomime, ou à la mimique. Il est évident qu’il utilise des mouvements, des harmonies, des rythmes, mais seulement au point où ils peuvent concourir à une sorte d’expression centrale sans profit pour un art particulier. Ce qui ne veut pas dire non plus qu’il ne se serve pas des faits ordinaires, des passions ordinaires, mais comme d’un tremplin, de même que l’humour-destruction par le rire peut servir à lui concilier les habitudes de la raison.

Mais avec un sens tout oriental de l’expression ce langage objectif et concret du théâtre sert à coincer, à enserrer des organes. Il court dans la sensibilité. Abandonnant les utilisations occidentales de la parole, il fait des mots des incantations. Il pousse la voix. Il utilise des vibrations et des qualités de voix. Il fait piétiner éperdument des rythmes. Il pilonne des sons. Il vise à exalter, à engourdir, à charmer, à arrêter la sensibilité. Il dégage le sens d’un lyrisme nouveau du geste, qui, par sa précipitation ou son amplitude dans l’air, finit par dépasser le lyrisme des mots. Il rompt enfin l’assujettissement intellectuel du langage, en donnant le sens d’une intellectualité nouvelle et plus profonde qui se cache sous les gestes et sous les signes élevés à la dignité d’exorcismes particuliers.

Car tout ce magnétisme, et toute cette poésie, et ces moyens de charme directs ne seraient rien, s’ils ne devaient mettre physiquement l’esprit sur la voie de quelque chose, si le vrai théâtre ne pouvait nous donner le sens d’une création dont nous ne possédons qu’une face, mais dont l’achèvement est sur d’autres plans.